Les descendants d’immigrés japonais au Brésil et la chirurgie d’Occidentalisation des yeux. Présentation d’une enquête en cours.
Résumé
Le Brésil réunit aujourd’hui la plus grande communauté nippone en dehors du Japon. Concentrés dans les états de São Paulo et du Paraná, les nikkei (immigrés d’origine japonaise) sont estimés à 1,5 million, 10% desquels seraient nés au Japon. Les 90% restant comprennent leurs descendants nés au Brésil et distribués sur quatre générations. Depuis les années 1980, le Brésil est devenu un pays d’émigration et le Japon accueille une immigration brésilienne singulière puisque composée essentiellement de descendants d’immigrés – appelés dekasseguis. S’intéressant à la question identitaire qui touche ces nouveaux migrants, Adriana Capuano de Oliveira a interviewé des anciens dekasseguis revenus au Brésil ; le passage suivant est extrait d’une conversation entre trois jeunes femmes de son échantillon :
« _ Et en plus, elles ont un corps hideux.
_ Ah ! Le corps des Japonaises c’est une chose bizarre…
_ C’est horrible !
_ … ce n’est pas seulement laid, c’est bizarre.
_ Une fois on était arrêtées comme ça, d’abord parce qu’elles nous regardaient… parce qu’elles nous trouvaient
très bizarres, hein, tout le monde a une tête de Japonais… mais nous on ressemble seulement à des Japonais,
n’importe qui peut se rendre compte qu’on ne l’est pas.
_ C’est ça.
_ C’est marrant que ça se voie, n’est-ce pas, là-bas [au Japon] même pour ceux qui ici [au Brésil] ont vraiment
une tête de Japonais, là-bas on les regarde dans la rue…
_ Et on se dit ‘celui-là c’est un Brésilien’, n’est-ce pas ?
_ … et on le sait.
_ Tu le sais, celui-là est Brésilien, celui-là ne l’est pas.
_ Et on était comme ça, hein, on regardait, on a dit comme ça : ‘mon Dieu, leur corps est trèèèèèès
bizarre ! ! ! !’ [rires], ce n’est pas normal ça, c’est comme une planche de bois, il n’y a rien devant, il n’y a rien
derrière.
_ C’est atroce ! Les hanches son tellement larges, hein ?
_ La hanche large, pas de taille.
_ Et sans fesses.
_ Oui, c’est tout à fait ça. »
Oliveira associe à l’expérience des dekasseguis ce qu’une partie des spécialistes de la question raciale au Brésil appelle le "racisme de marque", c’est-à-dire, le rôle déterminant du phénotype dans la discrimination raciale. Alors que la vaste et complexe littérature sur la question raciale brésilienne ne traite pas de la question ethnique ni des immigrés, cette réflexion retient l’attention. Les témoignages oraux recueillis par cet auteur font état de la perception d’un rapport étroit existant entre identité sociale et corporalité. Le passage cité ci-dessus est à cet égard éloquent et deux éléments méritent d’être soulignés : leur adhésion au canon « brésilien » de beauté corporelle féminine ; leur perception que leur « brésilienneté » comme la « nipponité » des Japonaises sont lisibles dans les corps et dans les comportements corporels