Au-delà de l’« énergie positive » (zheng nengliang). Politique des affects négatifs en Chine de l’après-Réforme
Résumé
Cette communication vise à présenter la réflexion collective initiée à l’Université Libre de Bruxelles en 2019 autour d’une anthropologie des affects négatifs en Chine post-réforme. Les contributeurs ont mis en commun leurs travaux ethnographiques, en vue d’explorer l’expression et le potentiel politique des affects et des émotions négatives dans la vie quotidienne et la culture publique, dans un contexte où l’Etat-Parti promeut activement bonheur et positivité. Ainsi, la négativité n’est pas seulement entendue comme qualité dysphorique de l’expérience ; elle se construit à travers des régimes émotionnels façonnés par le pouvoir, produits par des actes de définition explicites ou des atmosphères mises en scène qui favorisent certains affects et rejettent ou en condamnent d’autres. Menées au cours de la dernière décennie dans différentes villes (Pékin, Chengdu, Jinan, Shanghai, Canton, Hong Kong), les enquêtes mettent au jour les espaces de mise en public d’affects tels que la douleur, le trouble (kunhuo) et la perplexité (mimang), la honte, l’amertume ou la peur. Qu’il s’agisse par exemple de groupes de parents de personnes vivant avec un diagnostic psychiatrique, de psychothérapies collectives, de clubs de parole pour jeunes éduqués ou d’événements commémoratifs au sein d’université, les contextes d’interaction étudiés invitent à s’interroger sur ce que produisent ces situations de partage émotionnel. Qu’advient-il lorsque les affects éprouvés ne s’accordent plus avec
les modes normatifs de subjectivité promus à travers la culture publique – l’individu auto-responsable et entrepreneur de soi, la figure de Lei Feng, le citoyen « reconnaissant » ? Si un nombre croissant de travaux en anthropologie et Cultural Studies célèbrent le potentiel transformateur des affects négatifs, la démarche ethnographique offre un éclairage plus nuancé. Elle montre notamment comment ce potentiel politique est modulé par les modes d’interaction, mais aussi les répertoires culturels appropriés par les acteurs pour donner sens à leurs expériences.