Paradoxes « Kornaïens », 1959-1988 : planification et déséquilibre économique / Kornaïan Paradoxes, 1959-1988: planning and economic imbalance
Résumé
Paradoxe 1: Alors qu’il a travaillé avec l’Office National de Planification, Kornaï a dans un premier temps été attiré par la décentralisation du plan envisagée par Oskar Lange (et d’autres) qui a en partie inspiré les réformes économiques des années 1960.
Paradoxe 2: Alors qu’il a conçu, avec Tamas Liptak (Kornaï & Liptak, Econometrica 1965), le modèle mathématique (algorithme) le plus abouti techniquement de la solution d’Oskar Lange de planification décentralisée (dite «socialisme de marché»), il est devenu un ardent critique de Lange dans le prolongement de la controverse Hayek-Lange.
Ce paradoxe s’explique par : a/ les difficultés pratiques à faire converger vers l’optimum l’algorithme ci-dessus; b/ l’échec des réformes des années 1960 (dont le NME 1968 en Hongrie); c/ l’impasse définitive de la théorie Walrasienne de l’équilibre général et du tâtonnement (Sonnenschein, Debreu, Mantel), … même si Kornaï n’est pas explicitement conscient de c/.
Paradoxe 3: Malgré ses critiques de la théorie Walrasienne (Kornaï, 1971), alimentées par son expérience des défaillances de la planification puis de ses réformes, Kornaï ne quitte pas définitivement l’analyse mainstream (one foot in, one foot out) et conçoit une analyse micro-économique (et même infra-microéconomique dans Kornai, 1980, voir Andreff, 1986) des déséquilibres de l’économie planifiée.
Paradoxe 4: Nombre d’anciens économistes «planificateurs» - Edmond Malinvaud (Andreff, 2020) et bien d’autres -, après le constat des déséquilibres du plan et de l’impasse de la théorie néo-classique, ont développé une théorie des déséquilibres (des «équilibres non-Walrasiens») à la suite de Clower, Leijonhuvfud, etc. Le paradoxe est que Kornaï propose une forme relativement hétérodoxe de l’analyse des déséquilibres en refusant la «règle du côté court» (déséquilibres agrégés).
Paradoxe 5: Malgré son engouement pour les débuts de la transformation des économies planifiées en économies de marché, et peut-être grâce ses penchants Hayekiens, Kornaï devient vite (à partir de la seconde moitié des années 1990) un critique institutionnaliste des réformes inspirées du consensus de Washington et l’un des «leaders» (Kornai, 2003) parmi les économistes dénonçant les méfaits de la privatisation forcée et accélérée (dont l’auteur de ces lignes).