Tribu ou faction politique ? Les nomades Ōrāniyān des sources persanes médiévales et les errements de l’historiographie moderne
Résumé
Dans la partie consacrée à l’histoire des Khẉārazmshāh de son Tārīkh-i Jahāngushā, l’historien persan Juvaynī (1226-1283) mentionne un groupe nomade des steppes au Nord du Khẉārazm, qu’il appelle les Ōrāniyān, nom que l’on retrouve par ailleurs dans une liste de groupes turcs du XIIe siècle. Membres nombreux mais déloyaux de l’armée khẉārazmienne, ils auraient notamment été de la famille de la fameuse Terken Khatun, épouse et mère des Khẉārazmshāh ‘Alā’ ad-Dīn Tekish (1172-1200) et ‘Alā’ ad-Dīn Muḥammad (1200-1220). Cette information est pourtant contredite, en apparence, par d’autres historiens persans de la même époque, Jūzjānī et Nasawī, qui rapportent que Terken Khatun appartenait aux Yemek, et qui ne disent rien des Ōrāniyān. L’identification de ces derniers a fait couler beaucoup d’encre et posé d’importants problèmes aux chercheurs, qui se sont souvent bornés à noter la complexité des imbrications « tribales » de la steppe qïpchaq des XIIe -XIIIe siècles. Il existe pourtant une solution tenant compte de l’ensemble des données. Elle implique cependant d’abandonner la conception datée d’une société nomade organisée autour de liens ethniques et tribaux, au profit d’une interprétation mettant en avant les rapports politiques à l’œuvre dans la steppe. Le cas des Ōrāniyān apparaît donc comme une illustration du caractère obscurcissant du paradigme tribal, et de la nécessité d’en sortir pour faire la lumière sur l’histoire des nomades de l’Eurasie centrale médiévale.